En septembre 2025, l’académicien palestinien Basil Farraj nous a rendu visite. Il était l’un de nos invités internationaux pour ManiFiesta 2025, où il a participé à différents débats et discussions. Basé en Cisjordanie, il fait partie du Conseil d’administration de notre organisation partenaire palestinienne Bisan Center for Research and Development. Nous avons profité de sa présence pour l’interviewer sur son domaine d’expertise : l’emprisonnement israélien, la violence et la résistance pour continuer à exister.
Après plus de deux ans de génocide, il y a finalement un cessez-le-feu fragile à Gaza. Cependant, la violence israélienne ne s’est pas limitée à la Bande de Gaza : elle s’est accélérée dans les prisons où, depuis le 7 octobre 2023 des milliers de Palestinien·nes sans procès sont systématiquement maltraité·es, torturé·es et tué·es.
Pour Basil Farraj, professeur de philosophie et d’études culturelles à l’Université de Birzeit et directeur de l’Institut d’études internationales Ibrahim Abu Lughod, le système carcéral israélien n’est pas un moyen de punir les criminels mais une part fondamentale du projet colonial.
Farraj est revenu avec nous sur l’emprisonnement, la violence et l’oppression quotidienne et toutes les méthodes utilisées pour rendre la vie des palestinien·nes impossible. Il a aussi souligné l’indispensabilité d’une solidarité internationale avec la Palestine.


Un régime colonial construit sur l’emprisonnement
« Depuis le début de la colonisation sioniste, l’emprisonnement a été un instrument de pouvoir pour Israël, dit Farraj. Déjà sous le mandat britannique, avant 1948, l’emprisonnement a été utilisé pour briser la résistance palestinienne. Depuis l’occupation israélienne de 1967, près d’un million de Palestiniens ont été en prison. C’est un homme sur trois dans les territoires occupés. Aucun peuple au monde ne connaît un tel degré d’emprisonnement. »
Il explique comment cette tactique d’arrestations et d’emprisonnement fait corps avec la logique coloniale d’Israël. « Les prisons ne sont pas seulement des bâtiments avec des barreaux. Elles sont une extension de l’occupation elle-même. Tout l’espace palestinien est transformé en prison, avec des murs, des points de contrôle, des permis et de la surveillance. La prison est une métaphore, mais aussi une réalité matérielle. »
Depuis l’occupation israélienne de 1967, près d’un million de Palestiniens ont été en prison. C’est un homme sur trois dans les territoires occupés.
Basil Farraj.
« Pour Israël, dit Farraj, la carcéralité ne concerne pas seulement l’emprisonnement des corps. Il s’agit d’instiller la peur, de réprimer la résistance, et de transformer tout le territoire palestinien en prison.«
Depuis le début du génocide à Gaza, la situation s’est encore aggravée. « Israël a transformé les prisons en zones de guerre. La même brutalité que tu vois à Gaza se déroule derrière des murs fermés, » dit Farraj. « Au moins 77 Palestinien·nes sont mort·es au cours des deux dernières années dans les prisons israéliennes, souvent par torture, faim ou manque de soins médicaux.«
Après le début du génocide, les détenu·es ont perdu tous leurs droits : plus de visites, pas de lettres, pas de livres, pas de contact avec les avocats. Même la Cour suprême israélienne a ordonné aux autorités carcérales de donner plus de nourriture aux détenus : « un signe de la gravité extrême des conditions, » selon Farraj.
Torture, disparitions et humiliation
Farraj nous parle des centres de détention militaires notamment dans le désert du Néguev. « Nous avons entendu des témoignages de prisonniers qui ont été laissés pendant des jours les yeux bandés et ligotés, frappés, mutilés, agressés sexuellement. Certains sont morts par négligence, leurs corps sont toujours détenus dans des cimetières secrets ou des chambres froides. » Un après l’autre, ce sont des violations des droits de l’homme grotesques qui sont bien documentées, mais pour lesquelles Israël doit toujours rendre des comptes.
Il souligne qu’Israël refuse systématiquement l’accès à ces lieux de détention aux avocats et à la Croix-Rouge. « Il y a une politique délibérée de disparition. Les familles ne savent souvent pas pendant des mois si leurs proches sont encore vivants.«
« La violence est le fondement sur lequel repose ce régime. L’objectif est l’effacement de l’existence palestinienne, physiquement, socialement et mentalement.«
Basil Farraj.
Selon Farraj, tout cela n’a rien d’exceptionnel et est au cœur du système colonial. « La violence est le fondement sur lequel repose ce régime. L’objectif est l’effacement de l’existence palestinienne, physiquement, socialement et mentalement. » Il se réfère à l’écrivain et prisonnier palestinien Walid Daqqa, qui est mort en détention israélienne. « Daqqa a écrit qu’Israël essaie par la torture de ‘reprogrammer’ la conscience palestinienne, pour nous faire croire que la résistance est vaine. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui : une tentative de briser la psyché palestinienne.«
Résistance, solidarité et espoir
Malgré tout, la résistance à l’occupation israélienne persiste. « Dans les prisons, tu vois de petits actes de courage, » raconte Farraj. « Une chanson, une parole partagée, des objets fait à la main tels que des instruments. Ces initiatives sont des forts moments de liberté dans un environnement qui veut justement l’anéantir.«
Il voit aussi de l’espoir en dehors de la Palestine. « Les mobilisations en Belgique et en Europe donnent de la force, » dit-il. « Les gens qui descendent dans la rue, les appels au boycott et aux sanctions, cela a un impact. Cela rompt la normalisation des crimes d’Israël.«
Il souligne qu’il est toujours très important aujourd’hui de rompre les liens avec Israël, de boycotter les produits israéliens et de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils imposent des sanctions. « Israël doit être traité comme il l’est : un État paria qui commet des crimes de guerre en temps réel.«
« L’existence est résistance »
À la fin de notre discussion, Farraj se tait un moment. « Israël essaie de reprogrammer la conscience palestinienne, il veulent nous faire croire que la résistance est vaine, que le monstre ne peut pas être vaincu. Mais le fait que nous vivons encore, que nous parlons et que nous partageons nos histoires, c’est ça la résistance. L’existence est résistance. »