Que nous apprend l’expérience de la Chine dans la lutte contre le coronavirus?

Ce jeudi 19 mars, l’Italie a dépassé la Chine en nombre de morts du coronavirus. C’est aussi le premier jour où aucune nouvelle infection n’a été détectée en Chine. D’autres pays d’Asie de l’Est comme le Japon, Singapour et la Corée du Sud ont aussi mieux pu gérer l’épidémie du coronavirus que plusieurs pays européens. Pourquoi ?

La mise en garde du Dr Tedros, haut responsable de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), était juste. « Se laver les mains et tousser dans le coude réduisent le risque, de même que la “distanciation sociale” », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse, le lundi 16 mars dernier. « Mais cela ne nous permettra pas de surmonter la pandémie (épidémie qui s’étend sur une très grande surface géographique, NdlR). Notre message est le suivant : tester, tester et encore tester. »1 C’est l’une des plus importantes leçons à tirer de l’expérience de la Chine et d’autres pays d’Asie de l’Est.

Nous ne pouvons pas contrôler cette pandémie si nous ne savons pas qui est infecté

Dr Tedros a constaté que si les pays prennent désormais des mesures pour limiter les contacts entre les personnes (« distanciation sociale »), la plupart d’entre eux ne parviennent pas à détecter activement les personnes infectées. Pourtant, selon l’OMS, c’est la clé de voûte d’une réponse efficace à l’épidémie de coronavirus. « Le moyen le plus efficace de prévenir l’infection et de sauver des vies est de rompre la chaîne de transmission. Et pour cela, vous devez dépister et isoler. » Selon le Dr Tedros, « on n’éteint pas un feu avec les yeux bandés. Et nous ne pouvons pas contrôler cette pandémie, si nous ne savons pas qui est infecté. »

Cette leçon de sagesse, l’OMS la tire de la Chine. Fin février, un groupe international de scientifiques s’est rendu là-bas en mission pour tirer des enseignements de la gestion de l’épidémie de ce virus. Dans leur rapport, les scientifiques font l’éloge de l’approche du gouvernement chinois. Ils parlent de « l’effort le plus ambitieux, le plus combatif et le plus fulgurant jamais fait pour endiguer une épidémie ».2

Dans les villes où le nombre de cas est élevé, on prend massivement la température corporelle des habitants

La mission était dirigée par le Dr Aylward, un homme qui a 30 ans d’expérience dans la lutte contre la polio, le virus Ebola et d’autres épidémies à grande échelle. Dans une longue interview accordée au New York Times, il a expliqué l’approche chinoise de l’épidémie de Covid-19, la maladie causée par le nouveau coronavirus.3

Il explique que l’approche différait selon que les villes n’avaient pas, peu, ou au contraire beaucoup de cas. À chaque fois, ils commençaient par les mesures de base : se laver les mains, porter un masque, ne pas serrer la main, reconnaître les symptômes. Dans les villes où le nombre de cas est élevé, on prend massivement la température corporelle des habitants. Parfois, ils arrêtaient même les voitures sur l’autoroute pour voir si personne n’avait de la fièvre. Là où il y avait vraiment de grands groupes de patients, les écoles et les lieux de loisir étaient fermés. Mais seule la ville de Wuhan et les villes voisines ont été complètement bouclées.

À la recherche de patients

Les soins de santé ont été réorganisés en peu de temps : « La première moitié des soins médicaux était organisée en ligne, pour éviter aux gens de se rendre chez le médecin », explique le Dr Aylward. « Si vous avez besoin d’une ordonnance pour de l’insuline ou des médicaments pour le cœur, vous pouvez facilement en faire la demande, et elle vous sera envoyée à domicile. »

Les patients qui présentent des symptômes de Covid-19 sont tenus à l’écart des infrastructures médicales normales, et envoyés dans une clinique spéciale pour la fièvre. On y prend alors leur température, puis les patients sont examinés, interrogés, et passent immédiatement un scanner des poumons. Le tout prend quelques dizaines de minutes. Lorsqu’on suspecte le patient d’être infecté par le coronavirus, un échantillon est prélevé de son nez pour examen.

À Wuhan, au début, deux semaines s’écoulaient entre les premiers symptômes et l’isolement. Ce délai a été réduit à deux jours. Le virus n’a presque pas la possibilité d’infecter d’autres personnes

Les patients qui ont potentiellement le Covid-19 ne sont pas renvoyés chez eux, mais doivent attendre les résultats du test. Cela ne prend pas plus de quatre heures. Si le test est positif, le patient est immédiatement isolé. Ceux qui présentent des symptômes légers – c’est-à-dire toute personne qui n’a pas besoin d’oxygène – ne vont pas à l’hôpital, mais dans un centre spécialement équipé. Ces centres sont généralement installés dans des complexes sportifs, et comptent jusqu’à 1 000 lits. Les patients qui présentent des symptômes graves ou les patients à risque se rendent directement à l’hôpital et dans un service d’isolement.

Le Dr Aylward est impressionné par la façon dont ce système a été perfectionné : « À Wuhan, au début, deux semaines s’écoulaient entre les premiers symptômes et l’isolement. Ce délai a été réduit à deux jours. Cela signifie qu’il y a évidemment beaucoup moins d’infections. Le virus n’a presque pas la possibilité d’infecter d’autres personnes. »

Autre élément important : tout cela est gratuit pour les gens. L’État paie tous les tests de dépistage de coronavirus. Ceux qui sont pris en charge ne paient rien non plus, même ceux qui ne sont pas assurés. Les personnes infectées par le coronavirus peuvent compter sur la médecine gratuite. Une aide a également été fournie en dehors du secteur médical. Par exemple, des transports gratuits ont été organisés pour que chacun puisse rentrer chez lui après le Nouvel An chinois, de la nourriture a été fournie et les travailleurs ont bénéficié de jours de congé supplémentaires pour combler la période d’inactivité.

Une mobilisation nationale

Le Dr Aylward met aussi en avant l’implication de tout le pays : « Personne ne s’est plaint, ou n’a accusé Wuhan d’être responsable. Au contraire, il y avait un énorme désir d’aider Wuhan. D’autres provinces ont envoyé 40 000 travailleurs des soins de santé, et parmi eux, beaucoup s’étaient portés volontaires. De nombreux fonctionnaires se sont vu confier de nouvelles tâches. Sur les routes, des travailleurs prenaient la température des gens, fournissaient de la nourriture ou retraçaient les contacts des patients. Dans un hôpital, j’ai vu une femme qui m’a expliqué comment mettre des vêtements stériles. Je lui ai demandé si elle était l’experte en maladies infectieuses. Et non. Elle était réceptionniste, mais elle avait suivi une formation. »

En Chine, le nombre de nouvelles infections est aujourd’hui de… zéro.

« J’ai parlé à beaucoup de gens en dehors du circuit officiel. Ils étaient tous engagés, comme si c’était une guerre. Ils se considéraient comme étant en première ligne d’un front, qui protégeait le reste de la Chine du virus, et donc aussi le reste du monde »

La technologie joue également un rôle majeur. « Ils essaient vraiment de retracer chaque contact des 70 000 cas, donc ils traitent des quantités massives de données »,explique le Dr Aylward. « Par exemple, nous sommes allés au Sichuan, une immense province rurale, où ils avaient installé la 5G. Nous étions dans la capitale de la province, dans une salle de contrôle avec des écrans géants. Les experts se cassaient la tête à propos de la propagation du virus dans un groupe particulier. Le quartier général du district suivait aussi sur un autre écran mais ne s’en sortait pas non plus. Ils ont donc appelé l’équipe sur place. Imaginez, soudain on voyait un chef d’équipe, au milieu d’un champ, sur son téléphone portable, en vidéoconférence avec le gouverneur de la province, à environ 500 kilomètres de là. »

Dans certains médias, on lit parfois que cela s’explique uniquement par le fait que la Chine serait une dictature, mais le Dr Aylward a une opinion différente à ce sujet. « J’ai parlé à beaucoup de gens en dehors du circuit officiel, dans le train, dans les hôtels, dans la rue… Ils étaient tous engagés, comme si c’était une guerre. Ils se considéraient comme étant en première ligne d’un front, qui protégeait le reste de la Chine du virus, et donc aussi le reste du monde. »

Approches similaires en Asie

D’autres pays de la région ont adopté une stratégie similaire. Singapour s’est aussi immédiatement concentrée sur la détection rapide et l’isolement des patients. Leurs contacts étaient également méticuleusement répertoriés. Les personnes avec lesquelles les patients avaient été en contact étaient activement retracées, testées et mises en quarantaine si nécessaire, ou suivies d’une autre manière.4 Cette approche s’est avérée trois fois plus efficace pour détecter les patients atteints du coronavirus que les méthodes d’autres pays.5 Le Japon a également opté pour une approche très ciblée. Au début, la plupart des patients du pays venaient de Chine. À partir du moment où un groupe local de personnes infectées a été découvert dans la province de Wakayama, leurs contacts potentiels ont également été répertoriés et étudiés.6

La Corée du Sud s’est montrée encore un peu hésitante, et n’a commencé à effectuer des dépistages que lorsque l’épidémie était déjà relativement avancée. Mais quand les Coréens ont commencé à faire des tests, ils l’ont fait massivement. Chaque jour, 15 000 à 20 000 personnes sont dépistées pour le virus. Dès qu’un patient est testé positif, l’ensemble de son réseau est cartographié, de façon à pouvoir repérer une éventuelle propagation du virus. Le pays va loin sur ce plan, et utilise même les données GPS des téléphones portables.7

Critique de l’approche chinoise

De graves erreurs ont été commises à différents niveaux de l’appareil d’État chinois au début de l’épidémie. Les autorités chinoises l’admettent d’ailleurs. Mais cela a vite été corrigé

Néanmoins, des critiques peuvent également être formulées à l’égard de l’approche chinoise de l’épidémie de Covid-19, et certainement de la première phase. On peut par exemple citer le cas de Li Wenliang, ophtalmologue de la ville de Wuhan. Le 30 décembre, celui-ci avait envoyé un avertissement à ses amis. Dans son message, il mentionnait le SRAS, la version précédente du nouveau coronavirus, qui avait frappé la Chine il y a quinze ans. Pour cela, il avait été sanctionné par les autorités locales, qui estimaient qu’il semait la panique.

Il ne fait aucun doute que de graves erreurs ont effectivement été commises à différents niveaux de l’appareil d’État chinois au début de l’épidémie. Les autorités chinoises l’admettent d’ailleurs. Le président Xi Jinping a critiqué la façon dont les décisions avaient été prises initialement, au niveau local. Mais il a ajouté que cette attitude s’était également rapidement adaptée, et qu’un sens des responsabilités et une volonté d’agir collectivement ont rapidement émergé. Plusieurs responsables ont d’ailleurs été démis de leurs fonctions, parce qu’ils avaient commis de graves erreurs.8

Mais cela a vite été corrigé. Les services de santé de la ville ont ensuite rapidement signalé l’épidémie de ce virus à l’OMS. Le type exact de coronavirus n’a été identifié que le 7 janvier, et quelques jours plus tard, les autorités sanitaires chinoises ont partagé le génome complet du virus, afin que les laboratoires du monde entier puissent disposer de cette information et se mettre au travail.

Un seul axe

Malgré ces critiques, l’approche chinoise est avant tout très instructive. Celle-ci se divisait en deux axes : d’une part, elle exigeait de grands sacrifices de la part des habitants, qui ont dû limiter considérablement leur mobilité et leur vie sociale. Mais d’autre part, l’État a mobilisé tout un système pour détecter, isoler les patients atteints du Covid-19 et retracer leurs contacts le plus tôt possible. Cette même recette a également été couronnée de succès dans d’autres pays.

L’OMS constate que si les pays occidentaux exigent aujourd’hui un changement de comportement en imposant une distanciation sociale, en limitant la liberté de mouvement et en mettant en quarantaine des régions entières, ils ne parviennent pas à aborder le second aspect : la recherche active de patients atteints du Covid-19. Pire, aux États-Unis, il y a même une énorme pénurie de kits de dépistage, mais on fait comme si de rien n’était.9

En fait, la stratégie occidentale ne s’appuie que sur un axe fragile : un énorme changement de comportement est exigé de la part de la population, mais les autorités publiques ne prennent pas suffisamment de mesures pour détecter le virus. Cela n’a rien de surprenant. Pour appliquer la méthode chinoise, il faut un service de santé publique fort, développé à tous les niveaux, proche de la population, et un État capable de mobiliser l’ensemble de la population.10 C’est ce qui a permis de rechercher activement les patients atteints du Covid-19, de manière si efficace. Cela s’est également vu à Singapour, au Japon et en Corée du Sud.

C’est moins le cas dans les pays d’Europe, où l’austérité et les privatisations ont sapé le système de santé. Et le capitalisme sauvage a mis encore davantage à mal le système de santé américain. Cela n’a rien de secret. Près de trente millions d’Américains ne peuvent même pas rêver d’une assurance maladie. Même si des dépistages étaient offerts gratuitement aux patients atteints du Covid-19, ils ne seraient pas en mesure de payer le traitement.

Mais chez nous aussi, notre système de santé publique est démantelé petit à petit, et la logique de profit est encore trop souvent celle qui prévaut. L’expérience de la Chine et d’autres pays asiatiques montre qu’un système de santé publique est le meilleur outil pour mobiliser les personnes et les ressources nécessaires à des moments critiques, comme dans le cadre de la pandémie de Covid-19.
 


1 https://www.who.int/dg/speeches/detail/who-director-general-s-opening-remarks-at-the-media-briefing-on-covid-19—16-march-2020
2 https://www.who.int/docs/default-source/coronaviruse/who-china-joint-mission-on-covid-19-final-report.pdf
3 https://www.nytimes.com/2020/03/04/health/coronavirus-china-aylward.html
4 https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/69/wr/mm6911e1.htm
5 https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.02.13.20022707v2
6 https://www.washingtonpost.com/world/2020/03/13/how-countries-around-world-have-tried-contain-coronavirus/
7 https://www.aljazeera.com/news/2020/03/italy-south-korea-differ-tackling-coronavirus-outbreak-200313062505781.html
8 https://www.globaltimes.cn/content/1182223.shtml
9 https://s3.amazonaws.com/ASPPH_Media_Files/Docs/ASPPH.Statement.Covid-19.Testing.3.13.2020.pdf
10 https://www.vivasalud.be/fr/nous-avons-besoin-de-soins-de-sant-publics-forts-pour-endiguer-la-pandemie-globale-du-corona-virus/