L’activiste palestinienne de la santé Asrar parle du pouvoir de la collectivité

Asrar offre une assistance psychosociale aux enfants, jeunes et femmes palestiniens. Dans le cadre de notre campagne ‘Only Fighters Win’, elle est venue en Belgique pour témoigner de l’impact psychologique de l’occupation et l’importance des mouvements sociaux contre la violence de l’occupation. Ce fut une tournée inspirante remplies d’échanges fascinants avec des mouvements étudiants, des jeunes infirmier.e.s, des groupes de solidarité …

De nombreux problèmes psychosociaux chez les Palestinien·ne·s ont la même cause : l’occupation et la colonisation. C’est pourquoi nous devons nous attaquer à la cause de ces problèmes de manière collective

Pourquoi pensez-vous qu’il est important de raconter l’histoire des Palestinien·ne·s en Belgique ?

Asrar: “Je pense qu’il est important de parler de l’impact de l’occupation et de la colonisation sur la santé psychologique des Palestinien·ne·s. Il est également important de réfléchir avec les activistes et les professionnels de la santé en Belgique sur le rôle qu’ils peuvent jouer par rapport à cela. Par exemple en faisant pression sur leur gouvernement ou en boycottant des produits. L’apartheid et la perpétuelle colonisation des terres palestiniennes et de ses ressources sont rendues possibles aussi longtemps qu’Israël sera traité comme un État normal.

Je n’aime pas parler de moi et de mon propre rôle d’activiste, mais de mon peuple et de notre lutte commune. Je comprends que des histoires personnelles aident à expliquer une histoire plus large, mais cela va à l’encontre de mes principes. Les Palestinien·ne·s subissent de nombreux traumatismes psychologiques et se heurtent quotidiennement aux mêmes obstacles pratiques. Il s’agit d’un traumatisme collectif. Il en va de même pour notre résistance que nous avons menée et développée ensemble, génération après génération. C’est pourquoi je pense qu’il est important de parler de notre peuple en tant que collectif et non de moi en tant qu’individu. La collectivité est enracinée dans la tradition palestinienne. La solidarité et le travail communautaire sont toujours présents comme par exemple, pendant la saison de récolte des olives ou lorsque nous reconstruisons ensemble des maisons qui ont détruites par l’armée d’occupation israélienne.”

Cependant, de nombreux obstacles rendent l’action collective difficile ou impossible en Palestine. Aujourd’hui, les médias sociaux contribuent également à ce que les gens passent beaucoup de temps dans un monde virtuel. Cela a-t-il aussi une influence sur l’esprit de communauté ?

“Comme partout dans le monde, les Palestiniens passent beaucoup de temps sur les médias sociaux. Néanmoins, les réseaux sociaux sont également très importants pour que les Palestinien·ne·s renouent des contacts avec la collectivité. Des membres d’une même famille séparée depuis des années ont désormais des contacts quotidiens via les médias sociaux. De plus, c’est aussi un moyen de préparer et d’organiser des actions ensemble, d’exercer notre “collectivité” et de la mettre en pratique. C’est très important. Je vois de jeunes enfants en Cisjordanie établir des contacts avec des enfants de Gaza. C’est incroyable à voir. Les médias sociaux nous réunissent à nouveau contre la division. Même si Israël utilise également les médias sociaux comme une arme pour nous contrôler et nous contrecarrer. Il est de plus en plus difficile de partager des opinions.”

Qu’ont signifié les réunions en Belgique pour vous ? Que ramenez-vous en Palestine ?

“J’ai beaucoup appris lors des différentes réunions. Je pense par exemple à la discussion avec des gens de Médecine pour le Peuple à propos de leur méthode de travail. Notre approche présente des similitudes mais ce que j’en ai appris, c’est le rôle que peuvent jouer les services. En offrant des services dont les gens ont besoin, nous pourrons peut-être atteindre plus de personnes qu’aujourd’hui. En Palestine, beaucoup de gens sont principalement préoccupés par la survie. Le loyer à payer et comment subvenir à leurs besoins les empêchent de dormir. S’engager dans une action politique pour améliorer leur situation n’est pas la première priorité. Via les services, nous ouvrons une porte pour en parler. En outre, il est également important de fournir aux personnes les services qu’elles méritent. Quand je pense à mon propre champ d’activité en tant que psychologue, je constate que de nombreux services sont basés sur un traitement individuel, alors que de nombreux problèmes psychologiques et sociaux des Palestinien·ne·s sont inextricablement liés au contexte de d’occupation dans lequel ils vivent.”

Pouvez-vous donner un exemple ?

“Quand je travaillais comme psychologue dans des écoles, je devais accompagner un garçon parce qu’il était violent. Il me montra avec désinvolture des blessures sur son dos. Sur le chemin de l’école, il avait été battu par des colons. Il en a parlé comme si c’était très normal. J’ai trouvé cela très choquant.

Pour se rendre à l’école de Shuf’at, un quartier de Jérusalem-Est annexé, les enfants d’autres quartiers doivent traverser le vieux centre-ville de Jérusalem. Il y a de plus en plus de colons qui prennent des maisons palestiniennes et prévoient des gardes armés qui menacent physiquement les Palestinien·ne·s. Les Palestinien·ne·s qui y vivent n’osent plus quitter leur maison sans surveillance, de peur de retrouver des colons installés chez eux en revenant. Ils ont organisé leur vie de sorte qu’au moins deux personnes restent toujours à la maison.

Le fait que ce garçon en ait parlé comme d’une chose normale est en fait complètement fou. Les gens ont besoin d’un contrôle de base sur leur vie. Si vous n’êtes plus sûr de ne pas être battu sur le chemin de l’école ou du travail ou si votre maison va être occupée par quelqu’un d’autre à votre retour, alors vous avez perdu le contrôle. Lorsque la répression est si forte que vous ne pouvez pas y répondre, vous l’absorbez. Dès que vous vous retrouvez dans une situation où vous avez encore un peu de contrôle, vous pourrez également l’utiliser.

Et c’était exactement ce qui s’est passé avec ce garçon. Cela n’a pas de sens de le traiter comme un individu pour son comportement violent si la cause du problème est liée au contexte dans lequel il vit. Une approche collective de groupe a beaucoup plus d’impact et de résultats grâce à une meilleure compréhension du contexte mais également en réfléchissant ensemble à l’impact que vous pouvez avoir sur la réalité. C’est pourquoi il est important que les gens voient le lien qui existe entre leurs problèmes personnels et le contexte dans lequel ils vivent.”

La santé est un droit fondamental. Tout comme Asrar, les gens du monde entier doivent le défendre, le plus souvent dans des conditions difficiles. Ce n’est que là où les gens s’unissent dans les mouvements sociaux qu’ils peuvent faire valoir leurs droits et changer quelque chose.

Viva Salud les soutient dans la lutte pour le droit à la santé. #OnlyFightersWin