Carte blanche – Le droit à la santé et le covid-19 : le profit plutôt que la vie humaine

Ubai Aboudi est un défenseur des droits du peuple palestinien depuis de nombreuses années. Il a été arrêté en novembre 2019 et placé en détention dans une prison israélienne. Viva Salud et de nombreuses organisations internationale dont « Scientists for Palestine » ont lancé une campagne demandant sa libération. Malgré l’absence de charges, Ubai est toujours derrière les barreaux. C’est depuis sa prison qu’il a rédigé cette carte blanche.

« Malgré son arrestation, Ubai continue à prendre une part importante dans le travail de Bisan » – Collègues de Ubai

Je ne vais pas entamer mon article par des discours sur le droit à la santé ou même le droit à des soins de santé adaptés . Je ne vais pas non plus vous rappeler que ce sont là des droits fondamentaux garantis par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. C’est un fait indiscutable.

Un regard en arrière ; le coronavirus n’est pas notre première pandémie

La pandémie du coronavirus (COVID-19) ne diffère pas d’autres pandémies dans l’histoire de l’humanité.

Dans un premier temps, chaque épidémie est inquiétante. En effet, elle jette son ombre dans une région donnée du globe et la paralyse par sa propagation rapide. Elle va ensuite se transformer en pandémie et se répandre toujours plus loin, semant la panique et transformant la vie quotidienne des populations en cauchemar. Souvent, le virus s’attaque aux personnes les plus fragiles, celles dont le corps a déjà été mis à mal par une série de maladies chroniques. Cela semble d’autant plus injuste.

La plupart du temps, des personnes perdront la vie par manque de soins adéquats. Les pertes humaines ne seront pas seulement celles de millions de personnes pauvres dans les pays en voie de développement mais aussi celles vivant dans des pays riches et qui sont exclues du système de soins de santé ou dont le système de soins n’est pas apte à répondre à une telle crise d’urgence sanitaire.

Pourtant, bien que sournois, un virus n’est pas incurable. On peut l’endiguer si les soins médiaux nécessaires sont prodigués à toutes les personnes infectées jusqu’à ce que l’on trouve un vaccin pour vaincre le virus et garder sous contrôle sa propagation.

Mais ne devons-nous pas nous poser la question suivante : pourquoi au 21ème siècle, nos systèmes de santé ne sont-ils pas apte à combattre le coronavirus ?

Des systèmes de santé incapables de répondre à la crise du coronavirus

La pandémie du coronavirus a révélé la faiblesse des systèmes de soins de santé et les limites du système néolibéral globalisé ou dit « néolibéralisme débridé » par Samir Amin, économiste marxiste franco-égyptien de renom.

Ce système est devenu dominant dans le monde après la chute de l’URSS à la fin des années 80’ et au début des années 90. Il est basé sur un commerce international totalement ou quasi totalement libre. Le capitalisme a transcendé les frontières traditionnelles des pays et a ouvert des marchés à une échelle globalisée. Internet, les médias sociaux et les développements du transport ont fait en sorte que la production des industries globalisées dépend de chaînes relativement longues qui couvrent des pays voire des continents entier, depuis la fourniture de matières premières jusqu’aux marchés de consommation.

Dans les faits, la pandémie du coronavirus a démontré la faiblesse des investissements dans le secteur des soins de santé publics, y compris dans des pays  « riches » comme la France, l’Italie ou encore les États-Unis. Sous prétexte de restructuration, de réduction des dépenses publiques et d’efficacité économique, de nombreux pays ont entamé une privatisation de leur système de soins de santé.
Ce faisant, ils ont fragilisés à l’extrême l’accès à des soins de santé de qualité pour l’ensemble de leur population, privilégiant l’équilibre budgétaire et le profit au détriment de la vie humaine, pourtant bien plus précieuse que n’importe quel calcul économique.

Ainsi, le président des États-Unis, Donald Trump, s’est employé à annuler même les avancées les plus timides vers un système global de soins de santé adopté par son prédécesseur Obama, laissant ainsi des millions de citoyens américains sans aucune couverture médicale durant la crise du coronavirus. Au cours des trois dernières décennies, la France et l’Italie ont perdu respectivement 100.000 et 90.000 lits d’hôpital suite à une réduction des dépenses de l’État dans le secteur de la santé suite aux recommandations des économistes néolibéraux.

La crise du coronavirus a également révélé les effets négatif d’une division de la production du matériel médical au niveau international. Avant la crise, la Chine et la Turquie s’étaient spécialisées dans la production de masques et de produits de protection tandis que l’Inde se spécialisait dans la production des matières de base utilisées dans la production pharmaceutique. Lorsque le coronavirus a pris la dimension d’une crise globale, la demande de produits médicaux, ventilateurs et respirateurs a augmenté.

De nombreux pays se sont trouvés à court de produits médicaux en général car les quantités pouvant être exportées et/ou importées à travers le monde ont été limitées ou simplement arrêtées.

De leurs côtés, les compagnies pharmaceutiques ont continué à jouer avec le prix des médicaments sous prétexte qu’il leur fallait protéger la propriété intellectuelle et les retours économiques. Un exemple frappant est celui de l’appel des médecins français demandant la permission à ces firmes de fournir l’hydroxychloroquine et l’azithromycine à des prix accessibles pour soigner des patients atteints du coronavirus. Un tel appel démontre l’interventionnisme de ces grandes firmes privées qui décident des prix du marché, même dans une situation de crise sanitaire mondiale.

Cette pénurie globale de matériel médical et le monopole du secteur pharmaceutique ont conduit à une exaspération de la crise sanitaire dans les pays durement touchés par le virus et a provoqué une augmentation du nombre d’infections et de décès à travers le monde.

La crise du coronavirus en Palestine

La situation est bien pire dans les pays en développement car dans beaucoup d’entre eux, les secteurs de la santé sont faibles ce qui fait qu’ils ne savent pas répondre aux besoins quotidiens de leur population. De tels pays ne disposent pas de lits d’hôpital ni de médicaments en suffisance et ils n’ont pas assez de personnel médical pour faire face à des urgences comme la crise du coronavirus.

En tant que Palestinien, je vais m’attarder suer les politiques menées par l’Autorité palestinienne en matière de soins de santé.

Selon un rapport de la Coalition for Accountability and Integrity – AMAN sur les dépenses dans les secteurs sociaux, publié en 2019, le secteur de la santé en Palestine a un manque annuel estimé à 1.400 millions ILS, ce qui a des effets négatifs sur sa capacité à répondre aux besoins médicaux de la population. Afin de répondre à ces besoins, un système de transferts médicaux vers les hôpitaux israéliens et régionaux a été créé. Ce système est basé principalement sur l’achat à l’étranger de services médicaux au lieu de la consolidation du système de soins de santé palestinien et de la nationalisation de services. L’Autorité palestinienne a dépensé en moyenne 700 millions ILS par an pour ce système de transfert au cours des deux dernières décennies. Le manque d’investissement dans le secteur de la santé aurait pu être comblé en redirigeant les fonds du secteur de la gouvernance, qui consomme 43% du budget annuel de l’Autorité palestinienne, en particulier par la réforme du secteur de la sécurité dont le budget annuel est de 5,8 milliards ILS. Différentes analyses montrent que ce budget pourrait être divisé par deux en restructurant le service de la sécurité, en fusionnant différents appareils de sécurité et en mettant fin au recoupement entre les activités des services de sécurité. Cela permettrait de répondre aux besoins sectoriels par rapport au droit à la santé et fournirait un excédent de moyens pour réaliser le développement économique.

Conclusion : le coronavirus sonne le glas du système néolibéral global que nous connaissons

La crise actuelle marque la fin du système néolibéral global que nous avons connu au cours des trois dernières décennies. Un système qui a conduit à une économie annuelle globale de 85.000 milliards US$ et à une dette globale de 250 mille milliards US$ sans résoudre les problèmes de la pauvreté, du chômage ou du changement climatique.

Pire encore, le système a complètement échoué à répondre à la première crise sanitaire globale de notre époque : la pandémie du coronavirus.

Il faut espérer que cela sonnera la fin de ce fameux « développement privatisé » qui limite fortement le rôle de l’État et promeut un développement contrôlé par le secteur privé sans le moindre plan central, ni le moindre leadership. Un système qui se limite au développement économique sans prendre en compte l’essence même du développement : l’être humain. Dans ce système, le rôle de l’État est devenu complémentaire au secteur privé. L’État n’est plus appelé à garantir le respect des droits collectifs tels que le droit droit à la santé, à l’alimentation, à l’éducation et à la vie. C’est plutôt le marché qui procure la fourniture de service censée garantir ces droit, en accord avec les concepts de pertes et profits.

Or, le secteur privé ne vise pas une amélioration des conditions de l’humanité mais plutôt une augmentation du capital de ses détenteurs. C’est ainsi que l’on obtient un système où coexistent des milliardaires et des populations affamées, où la fortune des 8 personnes les plus riches du monde est égale à la fortune de la moitié la plus pauvre de la population.

L’une des leçons de la crise du coronavirus est donc la suivante : il faut changer le système.

Ce dont nous avons besoin est un système qui redistribue les richesses produites par l’humanité selon les besoins des peuples. Un système qui se base sur la notion que nous faisons partie d’un système écologique plus grand.

Cela me rappelle la déclaration de Barry Commoner : « Nous pouvons apprendre ici une leçon de base de la nature : que rien ne peut survivre sur la planète sans être une partie coopérante d’un grand tout global ».

Carte blanche écrite par Ubai Al-Aboudi, directeur exécutif de notre organisation partenaire, Bisan Center for Research and Development. Ce texte a été adapté pour des visées de traduction et de compréhension. Le texte original se trouve en anglais ici.


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