L’inégalité vaccinale prolonge inutilement la pandémie

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Imaginez que le monde soit en proie à un virus mortel et que vous disposiez d’un vaccin efficace… Feriez-vous en sorte de le rendre accessible à toutes et tous, au prix le plus bas possible ? Ou le vendriez-vous uniquement à celles et ceux qui peuvent le payer ? Tout en laissant le virus circuler tranquillement dans le reste du monde ? Vous feriez sans doute le premier choix. Dans les faits, pourtant, c’est le second cas de figure qui l’emporte.

D’un côté, on a une abondance de vaccins contre le Covid-19 dans une partie du monde. Et des multinationales pharmaceutiques qui amassent des superprofits. De l’autre, une grande partie de la population mondiale qui ne dispose d’aucune protection contre le coronavirus.

Selon le Dr Tedros, directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 4,8 milliards de doses de vaccin contre le Covid-19 ont déjà été administrées de par le monde, dont seulement 87 millions en Afrique. Soit moins de 2 % du total.

Actuellement, dix pays se partagent les trois quarts des vaccins administrés, tandis que dans les pays pauvres, seulement 2 % de la population est vaccinée, a-t-il ajouté. Alors que dans les pays riches, plus de la moitié de la population en moyenne a déjà été vaccinée, dans les pays pauvres, ce chiffre n’atteindra que 20 % à la fin de cette année, si tout va bien.

Inégalité extrême

Ensemble, les pays du G7 (États-Unis, Canada, France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni et Japon) ont commandé 2,4 milliards de doses en plus du nombre de doses nécessaire pour vacciner leur population. Cela représente au total cinq doses par personne, alors que seules deux doses suffisent (voire une seule, dans le cas du vaccin Johnson & Johnson).

Fin juillet, 26 millions de doses restaient inutilisées aux États-Unis, assez pour vacciner 13 millions de personnes. Une partie de ces vaccins sont arrivés à leur date de péremption en août. Le Canada, l’Allemagne, Israël, la Pologne, la Lituanie et la Roumanie ont tous déjà détruit des vaccins parce qu’ils étaient périmés. À la fin de cette année, le surplus de doses dans les pays riches devrait atteindre un milliard d’unités.

Pendant ce temps, les multinationales pharmaceutiques préconisent déjà l’administration d’une troisième dose (de rappel), censée renforcer le système immunitaire. « Même si elle n’est pas utile pour tout le monde, elle l’est au moins pour les personnes les plus vulnérables de la société », insistent-elles.

Cependant, selon l’OMS, il n’existerait en fait aucune preuve attestant qu’une troisième dose soit utile ou nécessaire. Le directeur de l’OMS, le Dr Tedros, n’a d’ailleurs pas caché son agacement à ce propos : « La semaine dernière, nous avons réuni 2 000 experts du monde entier pour discuter de toutes les données concernant ces doses de rappel. La seule chose claire est qu’il faut administrer les premières doses afin de s’assurer que les plus vulnérables sont protégés avant d’administrer des rappels. »

« Cela revient à distribuer des gilets de sauvetage à des personnes qui en ont déjà un, tout en laissant les autres se noyer sans gilet », a ajouté son collègue de l’OMS, le Dr Mike Ryan.

Pourtant, c’est déjà ce qui est en train de se passer. Les États-Unis, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont déjà annoncé leur intention de procéder à une troisième injection. Certains pays ont déjà donné le coup d’envoi. Israël, la Turquie et le Chili ont, en effet, déjà administré 10 millions de doses de rappel. Ce chiffre est supérieur au nombre total de personnes entièrement vaccinées contre le Covid-19 au Nigeria, en Éthiopie, au Kenya, en RDC, au Tchad et au Cameroun. Et ce n’est que le début. Aux États-Unis, plus de 100 millions de personnes seront éligibles pour recevoir une dose de rappel d’ici à la fin de l’année.

C’est pour le moins cynique. Pendant ce temps, le virus continue de circuler dans le reste du monde. Ce faisant, il évolue librement, ce qui permet à de nouveaux variants de voir le jour. Ces nouveaux variants compromettent l’efficacité des vaccins. Des gens auront ainsi effectivement besoin de rappels et probablement d’un nouveau vaccin plus tard.

Les multinationales pharmaceutiques, quant à elles, croulent sous les bénéfices. Pfizer, BioNTech, Moderna, AstraZeneca, Johnson & Johnson, toutes ont déjà annoncé qu’elles se préparaient à vendre des milliards de doses de vaccins contre le coronavirus avec, à la clé, des centaines de millions de dollars de bénéfices.

Une pénurie artificielle

Surplus d’un côté et pénurie de l’autre. Comment expliquer une telle situation ?

Tout a commencé il y a plus d’un an, bien avant que les vaccins contre le coronavirus n’arrivent sur le marché. À ce moment-là, les pays riches passaient déjà leurs commandes, à l’avance. Les multinationales pharmaceutiques ont ainsi pu investir sans risque, car les ventes étaient déjà assurées. Ainsi, des millions de doses ont été réservées pour une trentaine de pays.

Par ailleurs, les grandes entreprises pharmaceutiques protègent farouchement leur propriété intellectuelle en s’appuyant sur la législation en matière de brevets, et exercent ainsi un contrôle sur les acteurs qui peuvent produire leurs vaccins et en quelles quantités. Ces entreprises n’ont aucun intérêt à augmenter massivement cette production. Au contraire, la rareté du produit leur convient d’autant plus qu’elle leur permet de maintenir des prix élevés sur un marché hautement lucratif. C’est ainsi qu’au début du mois d’août, Pfizer et Moderna ont pu augmenter les prix de leurs vaccins de respectivement 25 et 13 %, sans fournir la moindre explication.

Ces entreprises produisent principalement pour les pays riches, et c’est d’ailleurs là qu’elles ont centralisé leur production. La capacité de production des pays en développement, déjà limitée, est réduite à néant au profit du riche Occident. Le Dr Tedros de l’OMS n’a pas caché sa stupéfaction en apprenant que l’Europe importe actuellement des vaccins Johnson & Johnson, qui sont fabriqués en Afrique du Sud.

« J’ai été étonné d’apprendre que des flacons du vaccin J&J contre le coronavirus quittent l’Afrique du Sud à destination de l’Europe, où presque tous les adultes ont déjà été vaccinés. Nous appelons instamment J&J à accorder d’urgence la priorité à la distribution de vaccins en Afrique avant d’exporter vers les pays riches, qui ont déjà suffisamment accès aux vaccins. »

L’imposture des « dons de vaccins »

Les pays riches se vantent de donner des vaccins, et présentent cela comme la solution. En réalité, il s’agit d’une imposture, ni plus ni moins. L’année dernière, l’OMS a mis en place Covax, un mécanisme de gestion de la distribution des vaccins à l’échelle mondiale, dont l’objectif est de distribuer suffisamment de vaccins pour vacciner au moins 20 % de la population mondiale d’ici à la fin de l’année. Cependant, Covax accuse déjà un important retard sur le calendrier, alors que le nombre de doses promises par le G7 ne représente que 8 % des doses totales requises par Covax.

Covax n’offre toutefois pas de véritable solution car il reste un mécanisme dépendant du bon vouloir des multinationales pharmaceutiques. La seule solution durable est de donner aux pays en développement les moyens de mettre en place leur propre production de vaccins. Cependant, les multinationales pharmaceutiques sont peu enclines à étendre leur production au-delà des marchés les plus riches.

Une production aux mains de l’Occident

L’intégralité de la chaîne de production de Pfizer/BioNTech et Moderna est actuellement concentrée en Europe et aux États-Unis. Pfizer projette toutefois d’établir des unités de production en Afrique du Sud et au Brésil, mais celles-ci se limiteront à des opérations « fill and finish ». En d’autres termes, il ne s’agira que d’usines de remplissage et de conditionnement des ampoules. BioNTech, pour sa part, a conclu un accord avec la société Shanghai Fosun Pharmaceutical, pour le marché chinois, et projette d’ouvrir une usine à Singapour. Moderna a conclu un accord avec la Corée du Sud pour y implanter une usine.

AstraZeneca et Johnson & Johnson concentrent, elles aussi, leur chaîne de production en Europe et en Amérique du Nord. Cependant, elles ont aussi passé des accords de licence avec des producteurs en Inde, en Chine, au Brésil, au Mexique, en Australie, au Japon et en Afrique du Sud. Comme le montre l’exemple de l’usine J&J en Afrique du Sud, la production de ces usines est parfois encore détournée vers l’Europe ou les États-Unis.

Les fabricants chinois de vaccins, Sinopharm, Cansino et Sinovac ont quant à elles conclu des accords de licence ou mis en place une production locale en Afrique (Égypte, Maroc, Algérie), en Asie (Indonésie, Malaisie, EAU, Pakistan, Bangladesh, Ouzbékistan), en Europe (Serbie et Turquie) et en Amérique latine (Argentine,Brésil, Chili, Mexique). Le fonds d’investissement russe RDIF (Russian Direct Investment Fund), producteur du vaccin russe Sputnik V, est très actif dans la distribution de ses licences dans des pays du monde entier. Il a d’ores et déjà partagé son savoir-faire avec 27 producteurs différents, notamment en Inde, en Serbie, en Argentine, au Brésil, au Mexique, en Algérie, en Égypte, en Turquie, en Malaisie et en Iran.

Les producteurs non occidentaux font donc mieux que les grandes multinationales pharmaceutiques. Mais la capacité est loin d’être suffisante. Des milliards de personnes doivent être vaccinées le plus rapidement possible. Nous ne pouvons pas continuer à compter sur la bonne volonté des entreprises. Les brevets devront être levés et le savoir-faire partagé à titre obligatoire.

Les inégalités actuelles en matière de vaccination prolongent inutilement la pandémie. Récemment, un éditorial de la revue médicale britannique British Medical Journal a évoqué un crime contre l’humanité : « L’injustice persistante à laquelle nous assistons est le résultat direct de la cupidité commerciale et de l’intérêt politique. » Seule la pression exercée par la base nous permettra d’y mettre un terme.

Signez l’initiative citoyenne européenne pour faire du vaccin un bien public : www.pasdeprofitsurlapandemie.eu

Wim De Ceukelaire, directeur de Viva Salud
Article publié le 2 septembre dans Solidaire