Comment se passe la campagne de vaccination aux Philippines ?

vaccination Philippines

Au rythme actuel de production de vaccins, il faudra attendre au moins jusqu’à 2024 avant que la plupart des pays à bas revenu puissent profiter d’une immunité collective contre le Covid-19. Comment se passe la campagne de vaccination aux Philippines ? Nous avons posé la question au Dr. Joshua San Pedro, actif auprès de notre partenaire philippin CHD et co-fondateur de la Coalition for People’s Right to Health.

Comment se déroule la campagne de vaccination aux Philippines ?

“La campagne de vaccination aux Philippines n’a débuté qu’au 1er mars 2021, on est à la dernière place des pays de la région d’Asie du Sud-Est. Deux vaccins seulement sont utilisés, Sinovac et AstraZeneca. La quasi-totalité des 525.600 doses d’AstraZeneca que nous avons reçues grâce à l’initiative Covax, ont été utilisées. Sinovac est donc le seul vaccin disponible pour le personnel de la santé, les personnes âgées et les personnes avec des comorbidités. A la date du 13 avril, seules 162.065 personnes avaient reçu les deux doses, ce qui ne représente que 0.1% de la population, et 1.093.651 personnes sont en attente de leur deuxième dose. »

Quels sont les principaux obstacles ? 

“Il y en a plusieurs, le plus important étant le nombre insuffisant de vaccins. Contrairement à nos voisins, la Malaisie, l’Indonésie et la Thaïlande, nous ne disposons pas d’une capacité de production pour pouvoir produire nous-mêmes des vaccins pour notre population. Nous sommes donc dépendants des dons et d’achat, via des programmes d’aide comme l’initiative Covax de l’Organisation Mondiale de la Santé. Il y a aussi des doutes quant à la sécurité et à l’effet des vaccins. Beaucoup de gens ont des réticences à se faire vacciner suite au traumatisante laissé par de la dernière campagne de vaccination contre la dengue (avec Dengvaxia) et à la campagne d’information très confuse du gouvernement. Il y a trop peu d’informations sécurisantes et trop peu d’accès à des services sanitaires dignes de ce nom.

Et puis il y a l’inquiétude quant à savoir si Sinovac offre une protection suffisante aux personnes à haut risque de contamination par le Covid-19. Une partie des acteurs de la santé plaident en faveur de l’utilisation de ce vaccin en l’absence d’alternative, d’autres sont contre parce qu’il n’y a pas assez de données fiables et contrôlées. Pour un bon déploiement de la campagne, on manque de personnel et de moyens, et donc la vaccination prend du temps. Par ailleurs, l’ordre de priorité des groupes à risque n’est pas respecté car on privilégie la classe dominante. »

Quelles solutions voyez-vous face à ces obstacles ?

Il faut que la campagne de vaccination se mette en place avec davantage d’efficacité et de transparence. Surtout si l’on pense aux millions de pesos que nous avons empruntés à cet effet auprès d’acteurs multilatéraux et d’autres pays. La population a le droit d’être informée correctement. L’état devrait jouer un rôle actif, et au lieu de cela, le département de la santé publique rejette la faute sur la réticence de la population face à la vaccination. Et quant aux instances gouvernementales compétentes pour les questions sanitaires, elles doivent être tenues responsables des fautes de procédure telles que le non-respect de la priorité des groupes vulnérables. Cependant, nous devons aussi comprendre que la vaccination n’est pas la solution à la pandémie. Des soins de santé publics proactifs et forts sont indispensables, ainsi que la prise en compte des déterminants sociaux de la santé, suite à la pandémie, aggravent les inégalités au sein de la société.

Quel est le rôle du CHD et des mouvements sociaux ?

Le CHD offre des informations et une analyse critique à la CPRH (Coalition for People’s Right to Health) et suit la mise en place de la vaccination via Bantay Bakuna. Bantay Bakuna, une initiative du CHD et de la CPRH, est une coalition d’organisations issues de différents secteurs en première ligne: femmes, enfants, jeunes, paysans, ouvriers, religieuses, personnel de soin, organisations militantes, programmes sanitaires locaux, scientifiques et beaucoup d’autres. Nous plaidons pour une information fiable sur le vaccin et pour la transparence, l’égalité, l’accessibilité et la responsabilité du programme national de vaccination Covid-19. Nos organisations sont indépendantes et mettent en lumière la réalité de la situation des gens ainsi que leur besoin de vivre dans une société meilleure et plus saine.

En dépit des limitations imposées par les protocoles sanitaires et de l’abus de pouvoir qui les accompagne, le CHD et les mouvements sociaux philippins poursuivent leur travail, malgré le danger et les défis du moment. Aussi longtemps que le droit à la santé est inaccessible pour la majorité des gens et qu’on continue à succomber à des maladies qui peuvent être prévenues ou soignées, notre travail et notre lutte pour un système de santé réellement public restent d’actualité.

De quelle façon la solidarité internationale peut-elle apporter de l’aide ?

Depuis des années, nous pouvons compter sur nos partenaires en Belgique. Même si nous vivons à l’autre bout du monde, ils nous offrent une aide matérielle et morale. L’aide financière permet au CHD de poursuivre son travail au sein des communautés, d’organiser une éducation sanitaire, des projets autour la médecine par les plantes et d’un usage raisonné des médicaments, de mettre sur pied des programmes de santé pour les mères et les enfants, d’aménager l’environnement et l’hygiène, de former des leaders dans le domaine de la santé.

Au côté des formations et de l’éducation des comités sanitaires et du personnel de la santé au niveau local, ces programmes contribuent à rendre les personnes plus à même de revendiquer leur droit à la santé et de s’engager pour des causes qui influencent la santé à travers les défis économiques et politiques quotidiens auxquels nous sommes confrontés.

Même si l’espace démocratique aux Philippines ne cesse de se rétrécir et que le soutien aux mouvements sociaux est constamment remis en question, nous espérons fortement que les ONG, groupes et individus en Belgique continuent de soutenir le CHD et d’autres organisations philippines, tant financièrement que moralement. Pour nous, le soutien financier est bien plus que de l’argent. C’est une forme de solidarité entre peuples qui font l’expérience de l’injustice, où que ce soit dans le monde. C’est une forme concrète d’espoir de bâtir ensemble un monde plus juste.

Entretien réalisé le 20 avril 2021